mardi 21 septembre 2010

Chronique de la haine ordinaire

Certains d'entre vous reconnaîtront le titre de ce billet, que j'ai emprunté à un recueil de chroniques du défunt Pierre Desproges, ouvrage cinglant dans lequel le journaliste/écrivain tirait à bout portant sur la bêtise et la lâcheté ordinaires. Un livre écrit avant l'avènement d'Internet, des forums et des réseaux sociaux. Autant de supports qui, s'ils sont pratiques et utiles à bien des égards, sont malheureusement devenus le refuge des couards qui profitent de l'anonymat que leur confère la Toile — laquelle est moins anonyme qu'on pourrait le croire cependant — pour s'en prendre aux personnes ou à leur réputation.

Récemment, en discutant avec un « ami » Facebook qui cherchait à me convaincre que j'avais la chance d'avoir un travail de rêve — pour être franc, je me fais la réflexion tous les matins en me levant — j'ai été pris d'un doute. Mais, rapidement, ses efforts à peine déguisés pour me faire sentir coupable d'être privilégié et de ne pas mériter la chance que j'avais m'ont laissé perplexe. J'exerce ce métier depuis 1985 et ce n'est pas la première fois que je suis confronté à l'envie, voire la jalousie de certains confrères motocyclistes. Et je la comprends. Quand on est passionné, comme je le suis moi-même, on aspire à vivre de sa passion. C'est légitime, même si peu de gens parviennent à réaliser leur rêve. Souvent par choix. Et à ce titre, je reconnais être privilégié. Ce qui ne justifie pas de se faire prendre à partie sans raison.

Car là, je ressentais une animosité latente dans les propos peu subtils de mon interlocuteur. La discussion qui avait débuté sur un ton amical tourna rapidement, et sans raison apparente, au règlement de comptes. À ses yeux, je ne trouvais nulle grâce. Mes talents de pilote seraient sujets à caution — il est coureur amateur, donc plus apte que je le suis à évaluer une moto, ça coule de source —, et mon style d'écriture trop hermétique à son goût. Même la qualité de mes photos n'était pas digne d'un chasseur d'images professionnel. J'étais sur le cul, pour employer une expression triviale. Qu'est-ce qui me valait tant d'hostilité? Étais-je donc si nul? Ou seulement victime d'un « troll » — à moins qu'il ne s'agisse d'un lecteur bipolaire en proie à une crise soudaine de manque d'estime de soi — qui avait décidé de déverser son fiel sur mon dos?

Comme beaucoup de personnes qui œuvrent dans un métier de l'écriture, j'ai longtemps espéré que je serais un jour touché par la grâce littéraire. Que je pourrais rivaliser avec les Rimbaud, Hugo et Camus de ce monde. Je me souviens de regarder « Apostrophes » (une émission de télévision littéraire française culte diffusée de 1975 à 1985) en me disant qu'un jour ce serait mon tour de répondre au questionnaire de Bernard Pivot (son créateur et présentateur) avec un air de détachement affecté. J'ai attendu que le génie m'apparaisse pendant près d'un quart-siècle. Et ce n'est que lorsque j'ai accepté mes limites que j'ai pu développer mon propre style et enfin prendre plaisir à écrire. De la même façon, c'est le jour où j'ai réalisé que je n'étais pas Valentino Rossi, que je ne deviendrais jamais champion du Monde de MotoGP, mais que j'avais un don pour « sentir » une moto et retranscrire mes sensations en mots clairs et compréhensibles que je suis enfin devenu, à mes yeux, digne d'exercer mon métier en toute légitimité.

En 25 ans de carrière, j'ai appris énormément de choses, rencontré des tas de gens et piloté des centaines de motos. J'ai accumulé un bagage d'expériences et de connaissances important dont je me sers tous les jours dans l'exercice de mon métier. J'estime honnêtement faire mon travail avec objectivité et professionnalisme. Et il n'y a aucun article dont j'ai à rougir, même après toutes ces années. C'est pourquoi je me suis senti vraiment surpris de devoir subir la vindicte de « mon ami ».

Cette expérience a néanmoins eu du bon, car elle m'a fait réaliser l'importance de toujours faire preuve de transparence, de bien expliquer les conditions dans lesquelles nous effectuons nos essais ou réalisons nos reportages et de ne jamais assumer qu'on a été compris du premier coup. Elle m'a également montrer la nécessité de répondre aux questions que se posent les lecteurs et d'apporter un complément d'information ou des éclaircissements quand la situation le réclame. Pour beaucoup de gens, les rumeurs ont force d'évidence. C'est pourquoi il est crucial de toujours présenter les faits clairement, sans artifice. Et de ne pas tricher. Car s'il est humain de se tromper, il est impardonnable de tromper les lecteurs.