Le week-end dernier, j’ai observé un rite annuel en hommage au printemps. Profitant du soleil radieux et de la température clémente, j’ai sorti mon Vespa PX150 du garage pour lui faire sa toilette vernale, le débarrasser de sa couche de grisaille et de ses engelures. Une petite cire pour chasser l’hiver, un coup de chiffon doux pour le faire reluire et le voilà propre comme un sou neuf. Prêt à affronter les routes cabossées, les nids d’âne et les dos de poule.
J’aime mon vieux Vespa. Il est indestructible et fiable. Fidèle comme la mule de Sancho Panza. Même si je suis resté six mois sans m’en servir, il m’a suffi de mettre le contact, de tirer l’enrichisseur et de donner un coup de kick pour l’entendre pétarader dans un nuage de volutes bleues aux odeurs d’huile deux temps et d’essence mal brûlée.
En respirant ces vapeurs aromatiques, je me suis retrouvé projeté 40 ans en arrière, dans les années 70, magie des odeurs et des souvenirs (Hugo disait que la mémoire olfactive était la plus fidèle). Je me suis revu, assis sur ma Mobylette Bleue, avec mes potes, à la sortie du collège, clope au bec, pantalon patte d’éléphant, pompes à semelles compensées, pull Shetland à col en V ouvert sur une chemise savamment déboutonnée, pour impressionner les filles. Et blouson de cuir à la James Dean... La classe Môssieur!
À cette époque-là, j’étais trop jeune pour piloter une vraie moto. Du moins, c’est ce que la loi prétendait. Car moi, je savais que j’avais le talent pour le faire et quand un ami plus âgé me proposait d’essayer sa bécane dans les rues de la cité des Chaises, je ne m’en privais pas. Mes potes plus fortunés conduisaient des Gitane Testi (j’en ai eu une, plus tard), des Kreidler, des Flandria et des Malaguti. Des meules à vitesses, hyper performantes, qui me faisaient rêver, mais que mes moyens financiers réduits à leur plus simple expression ne me permettaient pas d’acheter. Nous nous retrouvions le vendredi soir, près de la gare. Nous glandions sur le parvis, parlant de tout et de rien, en sirotant un Fanta ou en avalant un sandwich jambon beurre. Nous avions 14 ans et nous refaisions le monde. Pour rentrer chez nous, nous prenions toujours le même le chemin. C’était notre circuit personnel, notre Continental Circus. Nous le connaissions par cœur. La moindre bosse, le moindre pavé, le moindre rail nous étaient familiers. Sous mon casque intégral Bayard orné d’un magnifique numéro 7 dessiné au chatterton, je me prenais pour Barry Sheene. Et je pilotais comme un déchaîné, en prenant soin de relever la pédale intérieure dans les virages, pour maximiser la garde au sol, n’hésitant pas à faire une queue de poisson à un de mes poursuivants, ou à retarder un freinage à la limite du raisonnable pour ne pas me faire battre au fil d’arrivée. Parfois, je devais cependant m’avouer vaincu. Je rentrais alors la Mob au garage et je la bricolais pendant des heures, jusqu’à tard dans la nuit, modifiant le carburateur, installant un nouveau pot de détente ou une couronne arrière différente afin de laver l’affront, le vendredi soir suivant.
Le week-end, nous sillonnions les routes de campagne sur nos monstres rugissants, le dos plat et la tête entre les guidons, à la recherche de quelques illusoires kilomètres-heure. C’était futile, mais ça suffisait à nous rendre heureux. En fait, quand nous n’étions pas à l’école, nous chevauchions nos montures démoniaques. L’été, nous allions aux courses – 6 Heures Solex d’Orléans, Bol d’Or, 24 Heures du Mans, GP de France – comme de vrais motards, malgré nos motos lilliputiennes et anémiques. C’est de cette époque-là que je tiens ma passion pour les épreuves de vitesse et d’endurance. Quand l’argent manquait, nous allions traîner au circuit de motocross des Martinets à Olivet, près du collège, pour encourager un jeune pilote nommé Cyril Neveu, qui n’allait pas tarder à faire parler de lui. Il avait notre âge et du talent à revendre. Comme il l’a prouvé dans les années 80.
Un été, avec trois de mes amis, nous sommes partis en vacances, en mob, à l’île de Ré, à 400 km de chez nous. Une véritable expédition. Nous avons mis trois jours pour nous y rendre, par le chemin des écoliers. Et près d’une semaine pour rentrer. Notre première expérience de la liberté, de l’autonomie. Depuis cette expédition mémorable, j’ai développé un goût impérissable pour les voyages au long cours, à moto.
En respirant ces vapeurs aromatiques, je me suis retrouvé projeté 40 ans en arrière, dans les années 70, magie des odeurs et des souvenirs (Hugo disait que la mémoire olfactive était la plus fidèle). Je me suis revu, assis sur ma Mobylette Bleue, avec mes potes, à la sortie du collège, clope au bec, pantalon patte d’éléphant, pompes à semelles compensées, pull Shetland à col en V ouvert sur une chemise savamment déboutonnée, pour impressionner les filles. Et blouson de cuir à la James Dean... La classe Môssieur!
À cette époque-là, j’étais trop jeune pour piloter une vraie moto. Du moins, c’est ce que la loi prétendait. Car moi, je savais que j’avais le talent pour le faire et quand un ami plus âgé me proposait d’essayer sa bécane dans les rues de la cité des Chaises, je ne m’en privais pas. Mes potes plus fortunés conduisaient des Gitane Testi (j’en ai eu une, plus tard), des Kreidler, des Flandria et des Malaguti. Des meules à vitesses, hyper performantes, qui me faisaient rêver, mais que mes moyens financiers réduits à leur plus simple expression ne me permettaient pas d’acheter. Nous nous retrouvions le vendredi soir, près de la gare. Nous glandions sur le parvis, parlant de tout et de rien, en sirotant un Fanta ou en avalant un sandwich jambon beurre. Nous avions 14 ans et nous refaisions le monde. Pour rentrer chez nous, nous prenions toujours le même le chemin. C’était notre circuit personnel, notre Continental Circus. Nous le connaissions par cœur. La moindre bosse, le moindre pavé, le moindre rail nous étaient familiers. Sous mon casque intégral Bayard orné d’un magnifique numéro 7 dessiné au chatterton, je me prenais pour Barry Sheene. Et je pilotais comme un déchaîné, en prenant soin de relever la pédale intérieure dans les virages, pour maximiser la garde au sol, n’hésitant pas à faire une queue de poisson à un de mes poursuivants, ou à retarder un freinage à la limite du raisonnable pour ne pas me faire battre au fil d’arrivée. Parfois, je devais cependant m’avouer vaincu. Je rentrais alors la Mob au garage et je la bricolais pendant des heures, jusqu’à tard dans la nuit, modifiant le carburateur, installant un nouveau pot de détente ou une couronne arrière différente afin de laver l’affront, le vendredi soir suivant.
Le week-end, nous sillonnions les routes de campagne sur nos monstres rugissants, le dos plat et la tête entre les guidons, à la recherche de quelques illusoires kilomètres-heure. C’était futile, mais ça suffisait à nous rendre heureux. En fait, quand nous n’étions pas à l’école, nous chevauchions nos montures démoniaques. L’été, nous allions aux courses – 6 Heures Solex d’Orléans, Bol d’Or, 24 Heures du Mans, GP de France – comme de vrais motards, malgré nos motos lilliputiennes et anémiques. C’est de cette époque-là que je tiens ma passion pour les épreuves de vitesse et d’endurance. Quand l’argent manquait, nous allions traîner au circuit de motocross des Martinets à Olivet, près du collège, pour encourager un jeune pilote nommé Cyril Neveu, qui n’allait pas tarder à faire parler de lui. Il avait notre âge et du talent à revendre. Comme il l’a prouvé dans les années 80.
Un été, avec trois de mes amis, nous sommes partis en vacances, en mob, à l’île de Ré, à 400 km de chez nous. Une véritable expédition. Nous avons mis trois jours pour nous y rendre, par le chemin des écoliers. Et près d’une semaine pour rentrer. Notre première expérience de la liberté, de l’autonomie. Depuis cette expédition mémorable, j’ai développé un goût impérissable pour les voyages au long cours, à moto.
Quelques années plus tard, au lycée, mes copains et moi roulions encore en deux temps, même si les quatre pattes Honda et les Kawa 900 commençaient à envahir le marché. Les moins riches se traînaient en MZ 125 ETS ou en Jawa 350 California, dans des nuages de fumée si denses qu’on aurait pu y cacher un char Sherman. Ceux qui avaient un peu d’argent se baladaient en Yamaha DT125 — la reine des doubles usages à l’époque —, en Suzuki GT380 ou GT500. Les fils à papa ou nos amis qui travaillaient à temps plein se pavanaient quant à eux aux guidons de Suzuki GT750, ou, fin du fin, de Kawa 500 H1 Mach III et 750 H2 Mach IV. L’arme ultime qui nous faisait tous baver d’envie.
Aujourd’hui, les deux temps ont fait long feu et ne sont plus que de lointains souvenirs pour baby-boomers nostalgiques. Pourtant, avec l’aide de la technologie moderne, ils auraient pu devenir parfaitement acceptables dans notre environnement hyper policé. Certains polluent même moins que les quatre temps modernes réputés propres. La politique a des raisons que la raison ne connait pas. Toujours est-il que les rares deux temps encore en production n’ont plus que quelques instants à vivre. Pourtant, chaque fois que j’en entends un tourner, que je sens l’odeur de l’huile deux temps titiller mes narines, je me dis que les générations actuelles passent à côté de quelque chose d’unique et d’irremplaçable. Ils ne gouteront jamais ce cocktail unique de bruit et de fumée qui vous faisait sentir vivant, invincible. Qui sentait la passion. Les quatre temps, aussi puissants et agréables à piloter soient-ils, ne déclenchent pas chez moi de souvenir olfactif particulier. J’aime les piloter — ils sont même bien supérieurs à mes antiques pétrolettes —, mais ils ne sont pas chargés de la même émotion, du même pouvoir d’évocation. Autant de raisons qui font que je ne pourrais jamais vraiment aimer les motos électriques...
4 commentaires:
Cette publication aurait pu passer inaperçue, couverte qu'elle est sur ton mur par les vidéos de tes condisciples déjantés ! ;)
C'eût été dommage de ne pas te lire !
Anne B.
PS : tu oublies un détail dans la description des tes années lycées : ta chevelure de Messie !
quel beau texte qui me rappelle aussi des souvenirs alors que j'habitais une cité d'Orly sur le boulevard Chateaubriand. J'adorais mon Solex, ma Motobécane orange et par la suite ma superbe Flandria jaune haute sur pattes à pneus crampons. Avec laquelle je me suis pris une gamelle mémorable en prenant un virage un peu trop penché... Je me souvient de ce Vespa abandonné sous un escalier depuis des nnées et que j'ai réussi à faire rouler quelques kilomètres... Je me vois encore à plat ventre sur ma mob faisant la course avec mes potes de la cité d'Orly jusqu'à Choisy le Roi. Une route droite qui m'a vu faire bien des folies. Oublions le mot imprudence qui ne figurait pas à notre vocabulaire! Nos bécanes deux temps avaient l'odeur qui manquent aujourd'hui. Je regarde encore avec nostalgie le Vespa qui démarre au kick et il m'attire encore. Que de souvenirs ce texte! Merci Didier de nous rappeler ces moments heureux.
Ouff, Que de souvenirs tu me fait revivre Didier ajd avec ton excellent texte.
Je l'ai vécu un peu comme toi, mais ici au Québec, oui j'ai eu plusieurs petites motos 50 et 80cc souvent des 2 temps, oui j'ai adorer les 2 temps, juste de valeur que ces moteurs soient disparus car avec la technologie d'aujourdhui ça serait très performant et léger.
J'ai eu un GT 380, moto que j'ai adorer, c'était ma première digne d'une vrai moto et la 900 Kawa 1974 qui était LA bombe du temps.
Que de souvenirs agréable !!!
J'en avais jaser un peu avec toi à Drummond lors de l'escargot, on a pas mal le même âge...
Binosxx
Salut Didier ! Je me suis reconnu dans « les moins riches [qui] se traînaient en MZ 125 ETS » et encore aujourd'hui, lorsqu'un parfum — bien rare — d'huile deux-temps brûlée par un scooter vient titiller mes narines, je pense avec nostalgie à cette lourde utilitaire mal finie mais incassable et au budget imbattable qui fut mon premier deux-roues immatriculé... Je l'ai revendue au bout d'un an et 15 000 bornes, après avoir tordu et cabossé tout ce qui pouvait morfler lors des chutes (verglas, gravillons, états seconds psychédéliques et éthyliques) qui jalonnèrent mon auto-apprentissage! Tu as mille fois raison : l'odeur du deux-temps, c'est l'odeur du bon temps !
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